Etienne Leborgne travaille dans le vélo depuis plus de vingt-cinq ans. En septembre, ce Breton de 51 ans comptait parmi les experts invités par le Service de la mobilité du canton de Fribourg pour un atelier d’idées sur la «Valorisation touristique de la Gruyère par le vélo». Il en a profité pour faire un peu de vélotourisme sur les routes du canton et nous livre ses impressions.
Après votre escapade d’un week-end à vélo en Gruyère, qu’avez-vous pensé de la région et des possibilités pour le tourisme à vélo?
Le potentiel est hallucinant! On se retrouve dans un paysage de montagnes où à chaque regard on se dit «wouah! ce que c’est beau!» Avec en même temps des sites de renommée internationale comme Gruyères ou la Maison Cailler, le tout à proximité de villes comme Berne, Fribourg ou Lausanne. Il n’y a pas besoin de créer un positionnement: il existe déjà. Mais, aujourd’hui, rien n’est fait pour le vélotouriste. C’est une clientèle qu’on ne connaît pas, dont on ignore les besoins de base et qui galère si elle souhaite malgré tout se balader en Gruyère et dans le canton de Fribourg.
Un exemple concret?
Le vélotouriste se déplace à vélo, transportant ses bagages dans des sacoches qu’il accroche à sa monture. J’avais emporté un vélo pour moi, parce que j’aime me frotter à la réalité et qu’avant d’être un bureau d’étude, je suis un cycliste. Je pensais pouvoir louer une bicyclette pour mon épouse. Mais nous n’avons rien trouvé qui corresponde à notre pratique.
Les loueurs de vélos sont pourtant bien présents, notamment dans les stations…
Oui, et on a pu nous proposer des VTT, avec ou sans assistance électrique, mais aucun ne pouvait accueillir nos sacoches de voyage. De plus, il était impossible de restituer les vélos le dimanche, jour où nous repartions. Et comment tu fais si tu loues un vélo à Charmey et que tu veux le rendre à Bulle? Des solutions pourraient être proposées avec des partenariats entre les loueurs de vélos et des hôtels, par exemple. Mais, pour cela, il faut que les acteurs locaux aient connaissance de la clientèle liée au vélotourisme, aient conscience de son potentiel et qu’il existe une volonté de se fédérer pour offrir des conditions d’accueil adaptées.
Avec des investissements importants à la clé, c’est peut-être ce qui fait peur?
Alors que ce n’est pas le cas. Pour attirer les vélotouristes, il n’y a pas besoin de leur construire des hôtels luxueux, avec spa et wellness. Ce qu’ils attendent d’abord, c’est un local où ranger leur bicyclette en toute sécurité, un endroit où laver leur vélo après une balade en nature, un kit d’outils pour pouvoir faire des petites réparations, un service permettant de laver les vêtements du jour, une flexibilité dans les horaires des repas, etc. Des labels existent en France et ailleurs. Il suffit de reprendre les critères sans réinventer la roue.
Les hébergements ne sont pas les seuls à devoir s’adapter…
Comme pour tous les touristes, le voyage est un tout. En plus de l’hébergement, le vélotouriste attend des autres prestataires des offres adaptées. De nouveau, rien de luxueux, mais des aménagements où garer son vélo de manière sécurisée, si possible à l’abri d’une petite pluie, une consigne où laisser ses bagages pendant une visite, une possibilité de trouver un encas même en dehors des heures de repas… Un cycliste inquiet pour son fidèle destrier ne restera pas prendre l’apéro ou une glace sur une terrasse.
Le vélotouriste dépense-t-il volontiers?
En France, un touriste à vélo dépense entre 60 et 80 euros par jour, hors hébergement. Pour le vélotouriste, le vélo est un moyen de transport. Ce qu’il aime, c’est justement poser son vélo pour aller à la rencontre de l’artisan du coin, pour assister à une fabrication de fromage ou pour visiter la cave d’un vigneron. Les artisans doivent être conscients que le cycliste ne repartira pas avec un carton, mais juste avec une bouteille.
Que feriez-vous pour que s’installe une dynamique favorable aux vélotouristes?
Créer du liant, faire prendre la mousse, communiquer, informer… Ça peut passer par des balades à vélo avec les décideurs pour les sensibiliser. Ce qu’on fait avec mon bureau d’étude quand une région nous confie un mandat de coordination. Ce qu’a commencé à faire FRide autour du VTT, mais en l’élargissant au vélotourisme.
Quid des itinéraires?
Là aussi les acteurs ont souvent peur de devoir investir des montants pharaoniques. Alors que les vélotouristes circulent volontiers sur les petites routes de campagne pour autant qu’on les guide un peu et qu’on leur propose des points d’intérêt sur des itinéraires si possibles en boucle. On parle de balisage essentiellement.
Quelle a été votre expérience sur le terrain?
Durant notre week-end, nous avons d’abord suivi les parcours proposés par SuisseMobile avant de nous aventurer sur d’autres tracés grâce à notre GPS. Les routes existent. Rien besoin de construire, juste de créer un réseau d’acteurs convaincus et de coordonner les offres pour faire du canton de Fribourg une région bikefriendly. Ce développement complèterait bien celui du VTT puisqu’en dehors des itinéraires, les attentes de ces populations de cyclistes sont les mêmes.